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Interview Nicolas Braconnier

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Parfois le hasard réserve de très bonnes surprises, et cette surprise pourrait certainement s'appeler Nicolas Braconnier! En effet, c'est au détour d'une publication Facebook que nous avons pu découvrir non seulement l'artiste, mais aussi son environnement. L'occasion était donc trop belle pour que nous la laissions filer! C'est pourquoi nous avons pris contact avec lui, afin qu'il réponde à nos questions. Une interview sans filtre et sans complexes !

Bonjour Nicolas et merci d'avoir accepté notre invitation. C'est la coutume chez nous, et comme toutes nos interviews, pourrais-tu nous dire ce qui t'a amené à la musique et quel a été ton parcours "initiatique" ?

Bonjour Alex et tout d’abord, merci de m’accueillir chez toi ! Je te dirais tout simplement que la musique est venue à moi comme une évidence, et ce très très jeune. Mes parents ont toujours écouté beaucoup de musique sans aucun apriori quant aux genres musicaux, ce qui fait que j’ai vraiment été biberonné à toutes les sauces (chanson française, pop, rock, musique de film, etc). Je préfère te dire que c’est la musique qui est venue à moi plutôt que le contraire, parce que je considère que c’est la musique qui m’a choisi pour la raconter, l’étudier et l’écrire. Quand on choisi la musique, c’est souvent pour éviter un chemin qui ne nous inspire pas ou pour combler un quelconque manque de reconnaissance enfoui très profondément. J’ai toujours senti que la musique était ma toute première langue maternelle, et que quoi qu’il arrive, je devrais impérativement m’en remettre à elle dans mes choix et mes décisions. Mon premier contact avec l'instrument se fit avec un piano, et plus particulièrement avec un synthétiseur puisque mes parents avait un ami qui possédait un Roland D50, et que j’ai pu découvrir dès l’âge de 3 ans. Mon oncle Martial me mettra aussi plus tard, une guitare dans les bras. Ça m’a bouleversé, et ce fut comme une explosion en moi, au point de savoir immédiatement que mon existence sur cette terre serait principalement constituée de touche noire et blanche.

Après avoir posté une de tes vidéos sur le groupe, beaucoup ne se sont rendus compte de ta cécité qu'après coup. D'ailleurs la grande majorité s'est demandée comment il était possible d'arriver à une telle maîtrise de l'instrument. Pourrais-tu démystifier un peu les choses en expliquant de quelle façon on entame l'apprentissage d'un instrument lambda avec un handicape visuel ?

Tout d’abord si tu me le permets Alex, je souhaiterais profiter de cette question pour remercier toutes ces personnes que tu évoques, et que je croise régulièrement sur les réseaux sociaux. Elles sont toujours (pour la plupart) bienveillantes à mon égard. Alors je vais démystifier les choses tout de suite puisque l’apprentissage peut se faire de 2 façons (tout comme pour une personne claire-voyante d'ailleurs): un apprentissage par le biais du solfège à travers le braille avec toute la théorie musicale qui va bien avec, ou de façon autodidacte à l’oreille. La seule différence qu’on peut noter dans la manière de lire la musique, c'est que lorsqu'on déchiffre, on est contraint de le faire mains séparées puisque une main est posée sur la partition, tandis que l’autre exécute sur le clavier. Du coup on se retrouve à apprivoiser une œuvre dans un ordre que je ne trouve absolument pas naturel et du coup j’ai très vite boudé ce système que je trouvais un tantinet ancestral. J’ai donc appris à lire et écrire la musique mais me suis obligé très jeune à mettre le paquet sur mon oreille musicale. C’est ce qui me permet aujourd’hui de pouvoir relever facilement et à fortiori gagner un maximum de temps quand je me retrouve à jouer en groupe. Bon par contre je ne te cache pas que ça n’a pas du tout fait rire Isabelle ma professeur de piano, quand elle s’est aperçue que je relevais les œuvres de Beethov et Debussy uniquement d’oreille plutôt qu’en usant du cheminement traditionnel. Eh oui, elle s’en est finalement rendue compte puisque un beau jour, j’ai eu comme une erreur de texte … Eh oui, l’oreille non plus n’est pas infaillible ! Isabelle, si tu me lis, je t’embrasse et te remercie toujours et encore. Pour ce qui est de la maîtrise de l’instrument il n’y a pas de secret (le travail, encore et encore). Il n’y a que l’investissement personnel qui donne des résultats, et ceux qui tentent de nous vendre le contraire sont des charlatans.

Quel a été ton cursus musical ?

J’ai entamé un cursus classique à l’âge de 5 ans en étudiant le piano à Sainte-adresse près du Havre (qui est ma ville natale), que j'ai prolongé à l’institut national des jeunes aveugles de Paris jusqu’à l’âge de 14 ans à peu près. J’y ai étudié le piano donc, mais également l’histoire de la musique et tout ce qu’on qualifie de musicologique, tout en taquinant seul dans mon coin l’orgue liturgique, la guitare, la batterie etc. Après mes 14 ans je suis revenu en Normandie pour entrer au conservatoire de Rouen pour étudier le jazz avec Rémi Biet, en participant à des ateliers d’ensemble dans lesquels je jouais tantôt au pianiste, tantôt au batteur. J’ai également profité de ce magnifique lieu pour découvrir les percussions classiques, la composition et l’orchestration avec Pascal Zavaro. C’est également à cet époque que je me suis penché de façon complètement autodidacte sur l’orchestration, la fugue, et le fameux contrepoint. J’étais trop impatient de commencer à composer de la musique de façon sérieuse pour suivre un cursus digne de ce nom et le porter à son terme. C’est dingue ce que je pouvais être présomptueux la vache !

 



J’ai mis un terme à mes études à l’aube de mes 18 printemps pour parcourir les routes dans diverses formations, et m’enfermer dans les lumières tamisées des studios d’enregistrement, afin d'y apprendre le métier de producteur au sens anglo-saxon du terme aux côtés de copains ingénieurs du son tels que Olivier Lecoeur, Eric Docteur et Franck Malais du studio Honolulu. J’ai toujours été attiré par les techniques de prise de son et de mixage. Enfant déjà, je ne sortais jamais sans mon magnéto pour enregistrer tout et n’importe quoi. J’ai installé mon tout premier home-studio dans le sous-sol de la maison familiale, lequel avait été aménagé par Papa, et que je n'ai cessé de trimbaler à chacun de mes déménagements (mon studio hein, pas mon père!) ;) C’est finalement à l’âge adulte que la musique classique m’a rattrapé pour ne plus me lâcher. Étant un inconditionnel de Bach depuis l’adolescence, je me suis passionné pour les grands compositeurs, (toutes époques confondues), ce qui fait que mon apprentissage ne s'arrête jamais puisque quand je ne compose pas ou n’orchestre pas, j’étudie seul à la table, pour travailler les œuvres des grands maîtres.

Comment s'est passée ta première incursion dans le monde de la composition ?

Je pense pouvoir dire que j’ai toujours composé de la musique, consciemment ou pas. Au plus loin que je me souvienne, j'ai écrit ma toute première vraie mélodie à l’âge de 7 ans sur un Yamaha PSR. Adolescent je m’amusais déjà à prendre une chanson et à tenter d’y appliquer de petits arrangements de cordes ou de cuivres depuis mon GEM S3. Par la suite j'ai pu entrer à la SACEM avec l’aide précieuse de mon ami et guitariste Serge Hendrix à l’âge de 18 ans. D'ailleurs je crois que c’est à partir de cette époque que j’ai commencé à réfléchir à la technique de composition de la musique à l’image malgré ma cécité, et travailler pour d’autres. Ma première expérience de composition à l’image date de 2002. C'était pour un long métrage qui s’appelait "Owen Gear", un film franco-américain écrit et réalisé par Jean-Pierre Bénard, un jeune retraité de chez L’oréal. J'ai d'ailleurs vécu avec toute l'équipe une aventure absolument dingue quand on y pense. C’est justement le fait que l’on mai donné cette chance qui m’a permis d’affuter mes crayons, et qui m’a aussi permis de me rendre compte que composer à l’image sans mes facultés visuelles, n’était pas si inabordable que cela finalement.

De quelle façon travailles-tu, et comment se déroule ton cheminement créatif ?

Ça peut démarrer à partir de tout et n’importe quoi, et se matérialiser soit en improvisant au piano, ou de manière tout à fait cérébrale depuis une idée d’orchestration, une couleur harmonique, une texture instrumentale, etc … Je plains vraiment celui ou celle qui se sentira investi de la mission de tout ranger dans ma tête (on y trouve un sacré bordel là-dedans). Ça peut me prendre n’importe où et n’importe quand, (parfois même jusque dans mon sommeil). Il m'arrive de me réveiller au beau milieu de la nuit avec quelque chose d’extrêmement précis dans la tête, et que je dois au plus vite noter dans mon smartphone pour ne pas l’oublier. Il m'arrive également d'avoir la flemme et me dire: "ne prends pas de notes", et que si vraiment cette idée mérite qu’on s’y attache, elle reviendra d’elle-même plus tard. Autant dire que c'est à double tranchant car si ça se trouve, j’ai perdu des trucs vraiment bien!

Quelles ont été tes influences musicales (j'ai cru comprendre que tu avais touché un peu à tout) ?

Ouh là, très très vaste en effet ! J'aime (comme je le disais précédemment), la musique dite classique plus que tout, ainsi que le jazz, mais j’ai aussi beaucoup d'autres affinités pour d’autres styles (le métal, le blues, la funk, la musique du monde, etc). Je suis capable d’aimer un artiste de musique électronique pour la couleur de son son, un groupe de métal fou furieux pour son énergie et sa virtuosité, tout comme je peux apprécier éperdument ,une chanteuse parce qu’elle me fait chialer de par sa voix, sa sensibilité, et surtout sa sincérité (quand il y en a). En revanche, j’écoute très peu de musique de film, sauf quelques compositeurs, ceux qui ont cette faculté à faire que leur musique a une réelle existence sans les images. Par exemple, j'adore Gabriel Yared, d’autant que l’on a en commun  l’amour de Bach, ou encore de légendes comme Williams ou Bernard Herrmann qui est celui qui à mon sens, a vraiment hissé la musique de film à son apogée. Après je ne peux que saluer le travail d'autres compositeurs comme Jerry Goldsmith, ou plus proche de nous, Philippe Rombi. mais j’attache une réelle importance à ce que la matière fournie par un compositeur, m’apprenne quelque chose. Il y a 3 types de comportements chez moi quand il s’agit d’écouter de la musique. Celui qui consiste à se détendre, et celui qui a pour objectif d'en tirer quelque chose (ce qui explique que je n'écoute pas de la même manière une cantate de Bach, une symphonie de Mahler, du jazz, ou de la variété). Le troisième cas est celui de ne pas réellement faire attention à la musique diffusée, mais plutôt à son esthétique. Dans ce cas précis, je me mets à la place de l’ingénieur du son ou du producteur, et j’analyse absolument tout pour comprendre pourquoi le compositeur a choisi telle ou telle méthode, tel micro, telle façon de mixer, ou encore de tenter de repérer les subtilités du mastering. Je t’avais prévenu: c’est le bordel chez moi!

Tu te qualifies (je pense à tort), de fainéant. Mais force est de constater que quelque soit l'objectif à atteindre, il faut nécessairement se donner du cœur à l'ouvrage. As-tu des regrets ? Avec le recul penses-tu que tu referais la même chose ?

Quand j'étais gosse, j’étais particulièrement fainéant. Aujourd’hui il en est tout autrement puisque que je passe le plus clair de mon temps à travailler, étudier la musique, mais aussi l'instrument, etc. Ma prof de piano était absolument consternée de me voir passer l’examen de fin d’année avec une note de 19,5 sur 20 et avec les félicitations du jury, et me faisant par la même occasion sauter une année alors que je n’avais rien foutu. Dès que je passais la porte de l’auditorium, je sentais une main me choper par le bras, et immédiatement je savais que j’allais entendre Isabelle grimper à la sixième octave et me sermonner un long moment. Finalement c’est elle qui avait raison, et si à l’âge adulte je n’avais pas repris les choses en main où je les avais lâchement abandonnées, je serais certainement très limité dans mes capacités et donc frustré( tout comme ma professeur l’était sans doute à l'époque de ne pas réussir à me faire entendre raison). J’ai l’impression de lui avoir fais perdre un peu de son temps, et je m’en veux parfois tout en gardant une profonde tendresse pour elle. En dehors de tout cela, je n’ai pas de regrets, je suis passé du classique au jazz pour ne pas rester enfermé dans une seule manière d’envisager la musique, ce qui me permet aujourd’hui de pouvoir jouer avec absolument n’importe qui et dans n’importe quel registre musical. C’est Rémi Biet qui un jour m’a fait prendre conscience de cela. J’étais tombé malade une semaine avant le concert de fin d’année au conservatoire de Rouen, et n'avait pu travailler sur un morceau avec les autres membres de la formation. Une heure avant notre prestation, Rémi m’a vissé un casque sur les oreilles et m’a dit : « Bon allez le Jukebox, tu m’écoutes ça une fois ou 2 et ça va être dans la poche ! ». Rémi m’avait affublé de ce sobriquet parce que dans mes improvisations jazz, je m’amusais à caser un maximum de références musicales de Mariette (ce qui m'amusait beaucoup). Finalement ce surnom est resté et beaucoup ont continué de m'appeler ainsi à Rouen. Si je n'ai pas de regrets, j'ai en revanche beaucoup de merveilleux (malgré le fait d'avoir été séparé de mes parents et de mon frère pour dès l’âge de 10 ans, prendre la décision de partir en interna me donner le plus de chances possible).

Mon cocon familial m'a beaucoup manqué, malgré le fait que mes parents se soient pliés en quatre chaque week-end pour profiter le plus possible du peu de temps que nous passions ensemble. Parallèlement, Papa et Maman se sont mis au chant dans un petit groupe de musique familial, afin de pouvoir profiter des répètes le samedi, et partager avec moi ce qui me passionnait le plus dans la vie. Je crois qu’ils étaient prêts à faire absolument n’importe quoi pour que je me sente heureux, et que je ne pense pas au train qui le dimanche soir, m’arracherait à eux. Si tu savais comme je les aime mon frangin et eux, je leurs doit tout.

Tu as également été membre de plusieurs groupes. Quelles étaient pour toi les difficultés d'intégrer une formation musicale existante ? Comment se passaient les répétitions ?

En effet, que ce soit dans des groupes de variétés (baluche comme on disait dans le temps), de jazz, de funk, de blues, etc, je n'ai pas de difficultés particulières. Mais je suis néanmoins quelqu’un de très exigeant, autant avec les autres qu’en vers moi-même, et du coup, je suis loin d'avoir une patience à toutes épreuves. Par exemple lorsque l'on me demande ce que je verrais en intro d’un morceau et que l'on prend le temps de dicter chaque parties à chacun, et que la semaine suivante tout le monde dit :  « On avait dit quoi en intro déjà ? », là j’avoue que je ne suis pas pédagogue pour 2 sous. Dans un autre contexte, je ne me vois pas jouer le même répertoire indéfiniment. J’ai besoin de changement, et surtout d’apprendre des choses nouvelles. Je crois que c’est mon parcours qui m’a rendu comme ça. Lorsque j'étais à Rouen, je ne jouais qu’avec des personnes âgées de 30 ou 40 ans, (alors que je n’en avais que 15). J’ai donc presque toujours joué avec des individus ayant un niveau bien supérieur au mien. C’est extrêmement formateur et  enrichissant si on parvient à mettre son égo de côté. Pour en revenir à ta question concernant le handicap, je peux dire que cela n’a presque jamais été une barrière (bien au contraire). Je suis de ceux qui vivent très bien leur cécité, et je suis très heureux comme ça. Du coup, je vais très facilement vers les autres, qu’il s’agisse de musique ou de toutes autres choses. Ceci étant, qu’on ne se méprenne pas, j’aime la scène, et j'aime jouer en groupe. J’ai une petite formation de musiciens avec qui je ne manque pas de jouer car ce sont des personnes que j’aime (avant tout pour leurs qualités humaines). Je pense notamment  et plus particulièrement à mon batteur préféré (Bruno Herouard) que j'ai dans mon petit coeur.

On s'aperçoit finalement que l'être humain est une formidable machine capable de s'adapter à quasiment tous les contextes. Je suppose que tu as dû en "mettre sur le cul" plus d'un car ton acuité auditive doit-être tranchante comme une lame de rasoir? ;-)

Il est vrai que les gens sont le plus souvent bienveillants. Je crois que ça vient essentiellement de la curiosité qu'ils ont par rapport à ma différence. Comme je le dis souvent: "peu importe la question, il faut la poser", et mon rôle à moi sur cette terre, c'est d’y répondre. Dire que les gens sont cons c’est une chose, mais on peut aussi prendre une chaise et s’assoir avec eux pour s'expliquer. Ma petite blague favorite (et que je ressors à toutes les sauces) est la suivante : "il ne faut jamais oublier que vous et moi sommes semblables, moi aussi je pleure quand j’épluche les oignons puisque je me coupe les doigts!" Plus sérieusement, même si mes oreilles sont pas mal affutées, elles ne sont pas non plus si différentes que les autres. Je suis simplement un poil plus attentif que d'autres puisque je n'ai pas "l’image" et que de ce fait, je me focalise sur mon ouïe. Attention, ça n’a rien de surhumain, c’est juste pour moi une toute autre manière de voir et que j’aime beaucoup (d'ailleurs ça me va plutôt bien). En faisant fonctionner mon oreille et ma mémoire en permanence (et tant que le disk dur interne de la bécane ne rendra pas l’âme), je pourrais continuer d’emmagasiner les infos que la vie place sur ma route. Hey, T’imagines le prix au Téra-octet si je le mettais sur le bon coin ? :)

J'ai pu constater également que tu avais eu la possibilité de diriger un orchestre de plus de 50 musiciens. Comment parvient-on à un tel tour de force sachant que même des personnes en pleine possession de leurs facultés visuelles s'y cassent le nez ? De quelle façon as-tu affronté cette épreuve ? Tu as travaillé d'une façon je pense un peu particulière (ne serait-ce que pour te mettre dans la tête le conducteur) ?

C’était un rêve de gosse que mon ami Thierry Pélicant d’un coup de baguette généreuse et plein de gentillesse, a rendu possible. C’est aussi grâce à mon ami Olivier Lecoeur (ingénieur du son et fondateur du studio Honolulu au Havre), que j'ai pu rencontrer ce chef d’orchestre. J’étais venu prêter mes oreilles pendant une séance de mix au studio pour une œuvre classique dirigée par Thierry, et j’ai profité de la pose café pour lui poser tout un tas de questions. Parmi elles, il y avait celle-ci : "Pensez-vous qu’il soit impossible de diriger un orchestre sans l’aide de ses yeux ?". Thierry a beaucoup aimé le challenge, et s’est mis en tête de réaliser mon baptême du feu en me commandant une œuvre classique pour la ville de Montivilliers en Normandie. J’ai donc eu un délai de plusieurs mois pour composer et orchestrer une pièce pour orchestre ne dépassant pas les 15 minutes, avant de rejoindre Thierry et l’orchestre André Messager (formation constituée de professionnels mais également d’amateurs). J’ai ensuite livré mon travail sous la forme de fichiers midi que nous avons par la suite corrigé au studio avec Thierry avant d’imprimer les partitions pour chacun des membres de l’orchestre. Il en a profité aussi pour me montrer les gestes principaux comme la battue à la main droite, et m’a aussi suggéré de me créer ma propre manière de diriger à la main gauche. C’est d’ailleurs ça qui donne cette gestuelle un poil désordonnée à l’image. La difficulté (si on peut qualifier cela de la sorte), réside dans le fait qu’il faille connaître son conducteur par cœur, la tonalité dans laquelle la clarinette ou le cor français jouent, puisque si on arrête l’orchestre pour reprendre un détail avec un des musiciens, il faut pouvoir être capable de transposer le passage en question à la tonalité exacte de l’instrument. La clarinette joue en si bémol, le cor en fa. Retenir mon conducteur n’était pas insurmontable puisque rappelons-le, l’orchestre jouait ma propre musique. Si en revanche il s’agissait de la musique d’un autre, là effectivement, il y aurait eu un bien plus gros travail à fournir de ma part en amont.

 



Petite particularité qui peut vraiment déstabiliser et qui est commune à chaque jeune chef, il se produit naturellement comme une latence entre la battue que l’on donne et l’exécution de l’œuvre par l’orchestre. C'est un peu frustrant car cela  oblige à fortiori à être vraiment concentré pour ne pas emmener tout le monde au bouillon. Exception faite de ces détails, diriger ce n’est que du bonheur, et je ne remercierai jamais assez Thierry Pélicant, Olivier Lecoeur, et l’orchestre André Messager de m’avoir offert ces beaux moments qui resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Il m’arrive encore fréquemment de lever la baguette au studio quand je finalise l’orchestration d’une partition (d'ailleurs elle fait partie intégrante de mes outils de travail).

Est-ce que tu t’astreins à une discipline particulière en tant que musicien / compositeur (je sais que beaucoup s’infligent une pratique de l'instrument ou encore d'écrire tous les jours de la musique) ?

Je ne peux pas dire que je me force à écrire tous les jours, mais en revanche, je mets un point d’honneur à faire de la musique chaque jour à travers l’étude, l’improvisation, et mes exercices d’orchestration. Par exemple je prends une suite harmonique sur quelques mesures que j’orchestre et dont j’essaye de conduire à son maximum en terme de possibilités orchestrales. Je réalise également des covers et autres remixs à partir d’acapellas récupérés ici et là sur le web. Je prends une chanson (ou toutes autres œuvres), que je réarrange dans un climat le plus opposé possible de la version originale. Non seulement ça m’amuse beaucoup, mais c'est également un très bon exercice (et qui me maintient prêt pour d'éventuelles prochaines commandes). Quoi qu’il en soit, il le faut un maximum de temps au piano ou à ma table dans la journée, c’est indispensable à mon bien être. Emmène-moi en vacances plus d’une semaine, et tu vas vite constater qu’au moins une fois par jour, je vais chausser mes écouteurs pour prendre ma dose de notes (et même faire tout un bordel pour que tu arrives à au moins caser une guitare dans ton coffre de voiture)!

Concernant l'écriture, j'ai pu constater que ton talent était assez large d'un point de vue du style. Tantôt jazzman, tantôt compositeur de musiques de film, etc, tout y passe finalement ! Quels sont aujourd'hui tes ambitions ?

J’ai un projet d’album solo de musique électro type trip-hop que j’aimerais beaucoup amené à son terme. Mais malheureusement (ou heureusement devrais-je dire), on me sollicite entre temps par exemple pour écrire un arrangement de cordes, quand ce n’est pas pour intervenir sur un mixage ou un mastering. J’ai déjà 6 titres de mis en boîte et quasiment tout mixé, donc on tient le bon bout! Sinon j’aimerais beaucoup retravailler de nouveau pour le cinéma et l’audiovisuel, car composer à l’image est la discipline que je préfère. Ce qui me plait beaucoup avec ma cécité, c'est qu'elle m'oblige à être hyper attentif à ce qui se passe à l’écran. L’écriture, l’orchestre, c’est vraiment ce que j’aime le plus. Je viens de déposer à la SACEM ma prochaine démo qui sera illustrée ultérieurement par des images que l’on va tourner prochainement. J’ai vraiment hâte de pouvoir proposer mon approche quelque peu différente de la composition de musique à l’image, car si je t’ai dis tout à l’heure que je n’écoute pas vraiment de musique de film, en revanche je suis un cinéphile affamé. J’aime le cinéma, j’aime l’idée qu’à travers un divertissement on puisse me raconter de belles histoires et me faire réfléchir. C’est à cela que doit servir l’art à mon sens. Je dois aussi prochainement enregistrer des claviers pour l’album d’un artiste parisien, album sur lequel il est question que je signe également quelques arrangements de cordes.

Tu as ajouté une corde à ton arc en produisant également certains artistes. C'est une démarche qui est venue naturellement, ou c'est un peu le fruit du hasard qui a fait que tu as porté aussi cette casquette ?

C’est venu assez vite après mes études, en croisant des gens qui avaient des chansons écrites en guitare-voix, et pour lesquelles on venait me trouver pour y ajouter une orchestration. Eh puis ma passion du studio, des machines, et de la production, m’ont très vite poussé à aussi produire. C’est quelque chose qui me plait aussi beaucoup, même si de nos jours on croise de plus en plus (je le déplore), des personnes bien plus attirées par le feu des projecteurs et l’image que cela pourrait leur renvoyer de leur propre personne, que par la passion et la rigueur qu’exige l’art de façon général. J’ai évoqué au tout début de cette interview le manque de reconnaissance. C’est quelque chose qui se produit très rapidement sur les réseaux sociaux, et je pense que les dites TVs réalité y sont pour beaucoup. Il faut dire qu'à force de claironner aux oreilles des gens que l’on pourrait devenir un pur génie après seulement 6 mois passés dans un télé-crochet, il ne faut pas s'étonner de voir que beaucoup ont perdu toute réalité du travail et de la discipline que cela nécessite pour espérer avoir un minimum de crédibilité.

Je reçois très régulièrement des mails et messages privés sur les réseaux sociaux m’invitant à venir découvrir le travail des autres, mais j’avoue que les pseudos avec la mention "officiel" me font assez souvent faire demi tour. L’important quand on veut faire de la musique et maîtriser un art en règle général, c'est de prendre plaisir à ce que l’on fait. Se focaliser sur l’image que l’on renvoie de soi n'a pas vraiment d'importance, et tant que l'on aura pas compris cela, on continuera de "fabriquer des malheureux" et d’entretenir leur mal être. Il m'arrive de temps en temps de  craquer sur une voix, un texte, ou une personnalité qui se démarque de tout ça. Ensuite j’accueille la personne au studio pour lui donner un petit peu de mon modeste savoir faire, et tenter de la pousser dans la bonne voie, celle de la passion qui s’exprime par l’humilité avant tout.

Parlons un peu de tes outils et plus particulièrement de ton home-studio. Avec quoi travailles-tu ? Qu'est-ce qui a motivé tes choix en terme de matériels (Mac, PC, etc) ?

J’ai appris le son à l’époque sur des magnétos à bande, puis ensuite je suis passé sur un système direct to disk que j’aimais beaucoup (le fameux Yamaha AW4416). Par la suit,e je me suis formé sur système Windows par mon frère de coeur Manuel Faouen qui est quelqu’un à qui je dois énormément. Il est lui aussi aveugle et nous nous connaissons depuis toujours. J’ai commencé à travailler numériquement sur PC avec Sonar. J'ai donc produit de la musique pendant une bonne dizaine d’années avant de trouver enfin le DAW qui me convenait le mieux, à savoir Logic pro. Au studio je travaille sur un Mac mini de 2020, mais aussi un Mac book pro de 2015 que j’utilise comme solution mobile. Mon interface audio n'est autres qu'une petite Scarlett 18I20 de chez Focusrite, ainsi qu'une surface de contrôle FaderPort8 de chez Presonus.Côté monitoring je ne me sépare jamais de mon Sony MDR-7506, et de mes moniteurs yamaha MSP5. Depuis fin 2020, j’interviens en tant que bêta testeur dans une équipe de développement avec laquelle nous produisons le solution Fastboard. Cette dernière vise à rendre Logic plus accessible qu’il ne l’est nativement avec VoiceOver. Notre équipe de copains fait de son mieux pour porter ce beau et ambitieux projet imaginé et créé par Lucas VOLPI de "La chaine de Luc" sur Youtube.

 



Avec Fastboard, nous nous sommes concentrés sur les pays de la francophonie dans un premier temps (pour le moment France et Canada ). Mais nous préparons une version international de Fastboard avec un tout nouveau complice qui va bientôt rejoindre l’équipe. Ainsi les pays anglophones pourront à leur tour bénéficier de cet outil fantastique, et qui permet au travers de raccourcis clavier, de réaliser des pirouettes comme on pourrait le faire à la souris. L’informatique a changé beaucoup de chose dans ma vie, et plus particulièrement la société Apple. Je réalise mes productions à la maison, je me film moi-même pour mes vidéos sur ma chaîne youtube, je réalise mes montages seuls avec iMovie, et je gère mon site web via Wordpress en parfaite autonomie grâce à VoiceOver. La synthèse vocale que l’on appelle plus communément "revue d’écran", et qui est native non seulement sur MacOs, mais également sur iOs, rend de très nombreux services. Eh oui, l’iPhone aussi fait partie de mes outils préférés (j’ai toute ma vie dedans). Je prends des photos, je tourne de petites vidéos, je gère mes comptes en banque, et je peux même me faire décrire des boîtes de conserve ou n’importe quel autre objet via une simple application. C’est que nous autres, vivons en plein James Bond depuis Steve Jobs ! Alors je met le paquet sur Apple c’est vrai, mais d'autres  commencent à se réveiller aussi comme Native instruments par exemple, qui à travers Komplete kontrol et leurs claviers, nous permettent d’utiliser des plugins qui personnellement me faisait rêver il y a encore pas si longtemps. Exemple on ne peut plus concret: la librairie BBC Symphony Orchestra de Spitfire audio. Depuis l'arrivée du protocole NKS, cet outil est enfin accessible. Il est d'ailleurs devenu mon orchestre virtuel préféré. Je peux le trimbaler partout, et grâce à lui, je passe des jours et des jours absolument incroyables.

Je sais que tu as eu l'occasion de travailler à l'image. Comment se passe ton "dérushage", j'entends par là ta façon d'analyser (de te repérer) par rapport aux différentes scènes d'un film ?

Tu sais, je n’ai bossé à ce jour que sur un seul et unique long métrage. Mais ça m’a permis de me créer ma propre technique. Je rencontre le réalisateur, je récupère les images avec le son, et on se met d’accord sur les endroits où l’on met de la musique. Ensuite je me passe le film plusieurs fois dans mon coin. Le but étant de choper n’importe quel indice qui pourrait me permettre de reconnaitre tel ou tel personnage (bruits de chaussure, démarche, respirations, expressions du visage à travers les bruits de bouche), sans parler bien sur de la voix qui est essentielle, ou encore des mimiques qu’on a tous comme des mouvements de tête en secouant les cheveux, claquements de doigts, et j’en passe. Pour "Owen Gear" ça s’est fait vraiment très très vite. j’étais moi-même le premier surpris d’être à mon aise aussi rapidement pour composer à l'image. J’avais demandé à mon camarade Olivier Piedfort qui était monteur sur certaines scènes d’action, de me mettre des bips pour m’indiquer le début et la fin de l’action à souligner, afin que ma musique colle au mieux. Ensuite sur ces bips, j'ai pu caler un tempo (en frame per minute), puis  compter le nombre de mesures devant remplir l’espace. Une fois cette étape terminée, j’avais la structure de ma scène, et ne me restait plus qu’à me mettre au travail pour la composition et l’orchestration. La musique à l'image c’est vraiment quelque chose qui m’éclate parce que je ne sais jamais ce que ça va donner, et pourtant au moment de visionner ce que cela donne, les timings sont parfaits et la musique colle aux images (comme si le compositeur était en pleine possession de ses facultés visuelles). Tu n’imagines pas combien je suis impatient de remettre le couvert avec les outils d’aujourd’hui, car à l’époque sur "Owen Gear", je n'étais pas informatisé, et il m'a fallu travailler depuis un simple combo pour diffuser le film et mon direct to disk et quelques synthétiseurs pour simuler l’orchestre. Avec le confort du numérique, je sais aujourd'hui que je pourrais aller beaucoup plus loin. Ce qu'il me faut, c'est juste rencontrer le réalisateur qui sera intéressé par cette approche différente que j'ai du rapport à l’image.

Que pourrais-tu dire aux "vrais fainéants" qui eux ont la pleine possession de leur acuité visuelle et qui malgré tout, ne vont pas au bout des choses ? ;-)

Pas grand chose mon bon Alex, je ne les envie pas d’avoir cette faculté visuelle, tout comme eux n’envient certainement pas ma cécité. Nous n'avons finalement  peur que de ce que nous ne connaissons pas. Mais comme je le disais plus haut par rapport au tournant qu’est en train de prendre le monde artistique aujourd’hui, je pense que ça répond assez bien à la question (quitte à passer pour un moralisateur). Faire de la musique, être musicien ne s’ auto-proclame pas. C'est le  résultat d’un vrai travail personnel, d’un réel investissement guidé par une seule chose: la passion. Mettre son égo au placard avant de venir se frotter au monde réel, peut aussi présenter ses avantages. Les déceptions elles n’ont pas d’états d’âmes car il faut avoir les reins foutrement bien solides pour les accueillir, et ne pas finir chez le psy.

Tu es devenu papa d'un petit Gabriel (enfin petit, il a déjà 12 ans presque 13). Est-ce que cette événement a changé quelque chose dans ta façon d'écrire ou tout simplement d'envisager le futur dans ta carrière de musicien / compositeur / producteur ?

Du jour où nous avons décidé ma femme et moi de fonder une famille, j’ai pris la décision de ralentir considérablement la machine, il était impensable et totalement exclu pour moi de passer à côté de quoi que ce soit. J’ai participé à tout. Les cours de préparation à l’accouchement, etc, sans compter les nombreuses questions que posées au corps médical. La naissance de Gabriel a été le plus beau spectacle qui m’ait été donné de voir de toute ma vie. Je me souviens au passage d'avoir terminé mentalement l’orchestration d’une pièce qui s’intitule "Concertino for a Child", tout en tenant la main de ma maman. Gabriel a un regard sur le monde que j’aime beaucoup. Il est bienveillant, tolérant et généreux, et ça crois-moi, j’en suis très fier. Même si son truc c’est plus les jeux vidéo que la musique, de temps en temps il vient au studio me demander de l’aider à jouer quelque chose qu’il vient d’apprendre au piano. Alors je prends ma guitare, et nous nous construisons un moment rien qu’à nous … La naissance de Gabriel m’a rendu plus adulte, plus posé, m'a permis de me remettre en question sur bien des choses et surtout, d'être  bien plus sensible que je ne l’étais. La sensibilité est d'ailleurs au passage l'arme absolue du compositeur. Tu l'auras compris, mon fils c’est ma fierté, je pourrais en parler pendant des heures! Il va bientôt avoir 13 ans, et au fil du temps, il aura de moins en moins besoin de moi (ce qui du coup me permet de reprendre du collier petit à petit). On continue de me solliciter, et c’est une chance que j’ai et que je ne dois en aucun cas laisser passer. J’en suis pleinement conscient car beaucoup n'ont pas cette chance et se font par conséquent vite oublier. Finalement l’essentiel pour moi se trouve entre mes 4 murs à la campagne normande où il fait si bon vivre. Ma femme, mon fils, mes parents, mon frère et toute ma petite famille, c’est ça pour moi la réussite d’une vie. J'ajoute également cette chance que j'ai de pouvoir étudier la musique, la composer, et  de m’efforcer de la servir au mieux. Ce sont pour moi les ingrédients du bonheur absolu, doublé d’une noble mission!

Un grand merci à toi Nicolas pour nous avoir accordé de ton temps, et nous te souhaitons le meilleur pour un futur qui devrait sans nul doute, être des plus radieux te concernant ! Tu reviens quand tu veux pour nous parler de ton actu ! à bientôt ! :)

C’est moi Alex qui te remercie de m’avoir invité avec cette gentillesse et cette sincérité qui sont pour moi des qualités essentielles, et te dis à très bientôt !

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